En France, une loi sur le droit à la déconnexion régule l’utilisation des outils numériques pour assurer le respect de la vie familiale des citoyens. En Corée du Sud, on débranche tous les ordinateurs chaque vendredi à 19 heures.
Dans cet épisode de la série Hyperconnectivité et temps d’écran du balado Les Temps moderne, Marjorie Paradis s’entretient avec Manon Poirier, directrice générale de l'Ordre des conseillers en ressources humaines agréés, et Matthieu Dugal, journaliste, chroniqueur et animateur de l’émission Moteur de recherche sur la chaîne Ici Première.
En 2020, Québec solidaire déposait le projet de loi 492 sur le droit à la déconnexion. L’objectif ? « assurer le respect du temps de repos des salariés en introduisant une obligation pour un employeur d’adopter une politique de déconnexion en dehors des heures de travail. ».
Les arguments? le sentiment d’obligation des travailleurs de faire des suivis, les enjeux de santé mentale, la baisse de productivité causée par la fatigue, la charge mentale liée à l’invasion du travail dans la vie quotidienne.
Ici, la comparaison avec un athlète peut être parlante: en effet, lorsque celui-ci s’entraîne trop et ne se laisse pas de répit pour récupérer, il risque de se blesser. Le droit à la déconnexion fait donc directement écho au besoin de délimiter clairement une frontière entre vie professionnelle et privée des salariés.
Pourtant, selon certains, il est impossible de tracer cette ligne. D'autres affirment que la contrepartie de ce droit est le devoir de chaque individu de protéger sa propre santé en se déconnectant.
Déconnexion partielle ou totale
Matthieu Dugal a tenté l’expérience de la déconnexion complète, il y a un peu plus d’un an. Il a tellement aimé l’expérience qu’il l’a prolongé au-delà de son objectif initial d’un mois sans médias sociaux. Depuis, il recommande à tous de faire de même. « Ce fût une expérience de paix! » Il est convaincu que cette expérience lui a appris à utiliser les réseaux sociaux de façon plus judicieuse et moins intrusive pour sa vie privée.
Manon Poirier n’a jamais vécu de déconnexion complète, mais elle s’impose des fins de semaine sans suivi courriel ou présence sur les médias sociaux. Elle affirme également pouvoir compter sur la collaboration de son fils pour l’aider à décrocher des écrans. En effet, comme adulte, il n’y a rien de tel qu’un enfant qui vous rappelle à l’ordre!
N’empêche, elle croit qu’il est important de prendre un pas de recul à l’occasion pour réfléchir aux motifs qui nous poussent à être constamment connectés. Est-ce une pression que l’on sent de la part des autres? Est-ce un besoin que l’on ressent?
Vie professionnelle et vie privée
Avec l’omniprésence des technologies dans plusieurs métiers et professions, la frontière entre la vie personnelle et professionnelle est de plus en plus difficile à tracer. Quand on aime notre travail, il peut devenir d’autant plus complexe de prendre le temps de débrancher. Dans certains milieux de travail, il y a même des exigences ou des non-dits qui font en sorte que les employés sentent le besoin de demeurer connecter en tout temps.
Par exemple, un patron qui envoie des courriels à toute heure du jour et de la nuit met peut-être de la pression sur ses employés pour qu’ils fassent de même. Il faut alors faire attention aux messages que l’on envoie avec ce type de comportement, que ce soit délibéré ou non.
Les employeurs ont la responsabilité de clarifier les règles du jeu dans leur organisation, dit Manon Poirier. Les employés doivent aussi apprendre à mettre leurs limites. Elle déplore d’ailleurs que beaucoup de jeunes employés affirment rester connecter aux courriels de leur employeurs même lorsqu’ils sont en vacances. Le font-ils vraiment par choix personnel ou plutôt parce qu’ils sentent une pression de le faire?
« Ce n’est pas parce qu’on est passionné par notre travail qu’on doit le laisser nous envahir. » - Manon Poirier
Montrer qu’on existe
De son côté, Matthieu Dugal fait remarquer que certaines personnes ont tendance à utiliser les médias sociaux pour exposer leur « extimité », cette intimité qu’on expose publiquement. « Avec les années, on a multiplié les plateformes : Facebook, Twitter, LinkedIn, Instagram. C’est comme si on devait toujours être présent, réagir à ce que les autres publient, comme si notre existence personnelle et professionnelle dépendait de cette présence sociale. »
Pourtant, la « pensée en statut » encombre notre vie, croit-il. Il faut réapprendre à profiter du moment présent, sortir sans son téléphone pour capturer le moment présent et plutôt le graver dans notre mémoire.
Réglementer ou pas?
Malgré tout, l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés ne croit pas qu’il soit du ressort de l’État de légiférer pour imposer la déconnexion des travailleurs à certains moments. « Le plus loin qu’on pourrait aller, ce serait de demander aux employeurs d’avoir des politiques et des lignes directrices internes. Nous ne pouvons pas penser à un cadre législatif qui pourrait s’appliquer à toutes les réalités de travail», affirme Manon Poirier.
Selon elle, le mot d’ordre est « flexibilité », surtout dans un contexte où l’on parle beaucoup de conciliation travail-famille. Elle donne l’exemple d’une entreprise allemande qui empêchait ses employés de prendre leurs courriels après 18h. Pour certains qui devaient quitter plus tôt le travail pour aller chercher leurs enfants à l’école par exemple, il était devenu impossible de reprendre leurs heures en soirée, alors que la situation leur convenait.
Pour que les individus puissent s’autoréguler de façon efficace en contexte de travail, il faut néanmoins que les balises soient connues, que l’employeur soit clair dans ses attentes, croit Manon Poirier. Autrement, cela génère du stress pour les employés.
« Le one size fitts all va être difficile à mettre en place » - Matthieu Dugal
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